Le Siècle des Lumières et le scepticisme : Le cas du « matérialisme fragile » de Denis Diderot

                                                                                                                  
par Jonathan Arriola



L’objective du travail est d’explorer la tension qui existe entre, d’un côté, le scepticisme que Diderot semble embrasser dans plusieurs de ses premières écrits et, de l’autre, son matérialisme, qu’il développe pour fonder une philosophie qui soit pas spéculative. Diderot regarde parfois l’sceptique comme un « ami » de la philosophie, comme « le premier pas pour chercher la vérité », surtout contre les formes de dogmatisme, en particulière, de la religion. C’est vision est explicite dans son travail Promenade d’un Sceptique. Néanmoins, au même temps Diderot critiquera et combattra le sceptique extrême, celui qui nie tout court la possibilité de la connaissance. Même si le philosophe français reconnait que les arguments sceptiques, qui doutent de l’existence de choses extérieures, sont impossibles de réfuter, il trouve cette posture « irraisonnable » et, en conséquence, inacceptable du point de vue épistémologique mais aussi pour le but : l’amélioration moral et politique de la société, idée centrale de la fameuse Encyclopédie. Tel type de scepticisme doit être donc rejeté mais le scepticisme en tant que exercice ou méthode de la philosophie, non. Selon Diderot, le philosophe, doit chercher la vérité mais dans ce processus il doit essayer de ne pas tomber dans la tentation de devenir victime de ses propres créations, de ses propres « systèmes », comme il expose dans le Pensée sur l’Interprétation de la Nature. Au contraire des autres philosophes matérialistes de l’époque, comme Condillac, Cabanis, de Tracy, d’Holbach et Helvétius, etc. Diderot ne tentera pas de créer un « système » philosophique. L’hypothèse qu’on exposera à propos, basé dans les travaux de Jean-Claude Bourdin, Annie Ibrahim et Gerhardt Stenger, c’est que Diderot retiendra l’esprit sceptique et, comme conséquence, il préférera de s’abstenir de produire des grandes constructions intellectuelles a l’image de la géométrie où de la physique, en proposant plutôt il embrasse une conception de la philosophie comme « exploration », « narration » ou exercice d’ouverture et autocritique. Voilà pourquoi Diderot se tourne assez souvent vers la « littérature » pour faire de la philosophie.

The objective of this paper is to explore the tension that exist between, on the one hand, the skepticism that Diderot seems to embrace in several of his early writings and, on the other, his materialism, which he develops to found a not speculative philosophy. Diderot considers sometimes the skeptical as a "friend" of philosophy, as the first step to seek the truth, especially against the different forms of dogmatism, in particular, religion. This vision is explicit in his work The Skeptic's Walk (1747). Nevertheless, Diderot will at the same time criticize and fight against the “extreme skeptic”, who denies the very possibility of knowledge. Although the French philosopher recognizes that skeptic’s arguments, who doubt of the existence of external things are ultimately impossible to refute, he finds this stance to be "irrational" and therefore unacceptable from the epistemological point of view but also in relation to the objective of the moral, political improvement of society, a central idea of his famous Encyclopedia. While Diderot considers that such type of skepticism should be dismissed, skepticism as an exercise or method of inquiry, should not. According to Diderot, the philosopher must seek the truth but in the process he must try not to fall into the temptation of becoming a victim of his own creations, his own “systems” as he exposes in On the interpretation of Nature (1754). Unlike other materialist philosophers of the time, like Condillac, Cabanis, Tracy, d'Holbach and Helvetius, etc. Diderot will not attempt to create a philosophical "system". The hypothesis that I will defend here, based on different authors, such as Jean-Claude Bourdin, Annie Ibrahim and Gerhardt Stenger, that Diderot retains a skeptical mind throughout his works and, as a result, he prefers to abstain from producing great intellectual constructs in the image of the geometry or physics, instead he embraces a conception of philosophy as “exploration”, “narrative” and as an exercise of overture. That is why Diderot turns often to “literature” in order to do philosophy.

1.       Le problème du scepticisme au Siècle de Lumières  

a.       Trop ou peu sceptique ?

Le rapport entre la philosophie des Lumières et le scepticisme est assez complexe, et constitue un sujet courant de recherche et débat parmi les spécialistes. En gros traits, les postures qu’on trouve traditionnellement autour de cette question pourraient être organisées en deux pôles ou « écoles » opposées. Une première « école » considère que le siècle des Lumières était un mouvement essentiellement sceptique, qui a mis en question les dogmes religieux et dont résultat final était un processus de délégitimation des structures sociales, politiques et économiques de la société aussi bien en France qu’en dehors, qui conduirait aux révolutions à la fin du XVIIIème et principes des XIXème siècles. La deuxième « école », au contraire, conçoit la philosophie des Lumières comme une pensée qui donne un espace marginal dans ses réflexions aux questions sceptiques, en insistant sur le rêve, inspirée par le succès de la physique moderne de Newton[1], de créer une « science de l’homme » qui pourrait régler, en remplaçant la religion positive, la politique, la moral et même l’esthétique.
Comme bien montre Frédéric Brahami[2], la première école, est née à l’ombre du trauma laissé par la Révolution française et sera très influente, sinon hégémonique, pendant le XIXème jusqu’à la première moitié du XXème siècle. En fait figures transcendantales pour la pensée française et européenne, notamment Theodore Jouggroy, Auguste Comte, Charles de Rémusat et Pierre-Joseph Proudhon, parmi d’autres, ont décrit la philosophie des Lumières comme une pensée intrinsèquement « sceptique », dont conséquences destructrices se rendront visibles avec la Terreur de Robespierre. Pour des intellectuels pos-révolution, y compris, Royer-Collard, Victor Cousin et François Guizot, le problème fondamental résidait à expliquer comment était possible qu’une philosophie qui avait proclamé les Droits Universels de l’Homme aurait donné au même temps naissance à la barbarie de Robespierre. Selon eux, cette atrocité enracinait, en première instance, dans le scepticisme propagé par les « philosophes » par rapport à l’Ancien Régime.
En considérant que les institutions traditionnelles étaient « irrationnelles » et donc des obstacles au « progrès » de l’homme, les lumières auraient planté le scepticisme et ainsi sapé leur légitimité, ce qui laisserait un « espace vide » à être rempli par la « nouvelle philosophie ». En même temps qu’ils critiquaient l’ancienne société, les philosophes du XVIIIème siècle (Condillac, d’Holbach, Helvétius, La Mettrie, etc.) visaient à produire des systèmes rationnels qui pourraient remplacer la religion positive comme base de la société. Dans la plupart, les « systèmes » proposés étaient matérialistes, partaient des principes abstraits et de théorèmes empruntés de la géométrie. Dans ce cadre, la Terreur ne serait que l’effet combiné de ce mouvement double, sceptique et rationaliste, des Lumières: au milieu du chaos provoqué par la Révolution, issu du scepticisme généralisé, Robespierre aurait essayé d’appliquer futilement les « paramètres géométriques » des nouvelles idées, nées de la « raison pure ». La violence serait le résultat de cette combattre entre l’abstraction de l’idéalité et la résistance historiciste de la réalité. Et voilà pourquoi, dans l’imaginaire postrévolutionnaire, le concept de scepticisme est devenu un synonyme de « matérialisme », « géométrisme » et même de « philosophisme » (Brahami 2013, 330).[3]
Aux antipodes de cette vision, la seconde école défend que le scepticisme a été une courante relativement peu importante au Siècle de Lumières. Le livre Scepticism in the Enlightenment (1963) de Richard Popkin représente clairement un exemple de cette thèse (Charles, V-VI). Si bien l’auteur remarque il a eu de plusieurs traductions en français et latin d’Hypotyposes de Sextus Empiricus et du Traité de la faiblesse de l’entendement humain (1723) de Pierre-Daniel-Huet, il argument que pendant le Siècle des Lumières, sauf le cas de Hume en Écosse, le scepticisme était essentiellement un mouvement souterrain et sous la forme « pyrrhoniste » qui lui avaient donné Montaigne et Bayle au XVIème siècle. Cette perspective de Popkin sur le XVIIIème siècle renforce la vision classique qui lui regarde comme une période plutôt « dogmatique », qui avait érigé un culte à la raison afin de lutter contre la superstition, le fanatisme et l’ignorance et qui avait cru dans la « perfectibilité » de l’homme et ainsi dans la possibilité du progrès à travers la connaissance. Il est important de souligner que cette vision n’est pas exclusive de Popkin. Bien avant, dans son The Heavenly City of the Eighteenth-Century Philosophers (1932), Carl Becker avait exposé une image similaire d’un Siècle de Lumières plutôt « dogmatique ». Au même sens, les ouvres « classiques » comme, par exemple, Philosophie der Aufklärung (1932) d’Ernst Cassirer, La Crise de la conscience européenne (1935) et La Pensée européenne au XVIIIème siècle (1946) de Paul Hazard ou The Age of Enlightenment (1956) de Isaiah Berlin[4], manquent aussi d’une discussion profonde sur la question du scepticisme au XVIIIème siècle.[5]

b.      Vers un nouveau paradigme

Néanmoins, dans les dernières années il y a eu un mouvement général de révision de cette image de la philosophie des lumières comme opposé au scepticisme. En effet récents travaux montrent que la description traditionnelle, qui avait assigné au scepticisme un rôle mineur dans la pensée des philosophes, n’est pas tout à fait fidèle á la réalité et diversité du Siècle. Si bien qu’il soit vrai que le Siècle de Lumières a favorisé une vision de la raison comme faculté active et constructrice, cette conception, comme bien remarque Sébastien Charles[6], a été forgée justement comme une réaction contre le scepticisme. Cela habiliterait à ne pas considérer le scepticisme comme un mouvement souterrain et non plus comme une posture philosophique négligée par les philosophes : il serait plutôt l’autre contre lequel la pensée des lumières s’était définie.
Plusieurs d’études ont contribué à opérer ce changement dans la vision du rapport entre le scepticisme et le Siècle de Lumières, qui, en vérité, s’encadre dans une révolution générale de la littérature relative au XVIIIème siècle. Parmi les travaux qui reformulent l’importance du scepticisme dans la philosophie des Lumières, on trouve ceux, par exemple, de Gianni Paganini en Italie, Scepsi Moderna. Interpretazioni dello scetticismo da Charron a Hume, Cosenza (1991) et aussi Skepsis. Le débat des modernes sur le scepticisme (2008), de Lother Kreimendahl Aufklärung und Skepsis (1994) en Allemagne, de Julián Marades Millet et Nicolas Sánchez Durá, Mirar con cuidado. Filosofía y escepticismo (1994) en Espagne et de Sébastien Charles, Berkeley au siècle des Lumières. Immatérialisme et scepticisme au XVIIIème siècle (2003) en France.
À cela, ils doivent être ajoutés les travaux de Jean Deprun La Philosophie de l’inquiétude en France au XVIIIe siècle (1979), Ezequiel de Olaso Escepticismo e Ilustración. La crisis pirrónica de Hume y Rousseau (1981), El Escepticismo antiguo en la genesis y desarrollo de la filosofia moderna (1994) et de Giorgio Tonelli, notamment les articles The “Weakness” of Reason in the Age of Enlightenment (1971) et Pierre-Jacques Changeux and Scepticism in the French Enlightenment (1974). Ces deux textes de Tonelli seront réédités conjointement par Popkin et Olaso dans une nouvelle edition du livre Scepticism in the Enlightenment (1997). Il faut remarquer que dans ce livre Popkin reconnaitra, concrètement dans l’article New Views on the Role of Scepticism in the Enlightenment, que la perspective qu’il avait défendue antérieurement, concernât le rôle secondaire du scepticisme au Siècle des Lumières, était trop étroite. L’idée de la nouvelle édition était justement de corriger cette vision.

2.       La réévaluation des philosophes particuliers : le cas de Diderot
                                                                                                                                             
Dans la ligne de réviser l’image générale du Siècle des Lumières, il a eu aussi une notable relecture de la pensée d’auteurs particuliers, comme d’Holbach, Condorcet, Voltaire, d’Alembert, Rousseau et Diderot. De point de vue du scepticisme, la figure de Diderot semble être particulièrement intéressante, puisque, comme on verra à la suite, on peut bien apercevoir dans ses plusieurs écrits la tension générale qu’on trouve au long du tout le Siècle de Lumières entre, d’un côté, embrasser la posture sceptique (surtout contre la religion, la superstition et le « esprit systématique » du siècle antérieur) et, d’autre, la nécessité d’aller au-delà du scepticisme et construire une philosophie « positive », capable de fonder pas seulement la connaissance mais aussi une morale, une politique et une société « raisonnables ». En plus, c’est précisément chez l’ouvre de Diderot où est mieux aperceptible l’idée de Sébastien Charles selon laquelle l’auto-affirmation de la raison qui a eu lieu pendant le XVIIIème siècle était une réponse aux questions sceptiques. En effet Diderot, surtout dans ses premiers écrits, affrontera le problème du scepticisme et, en apprenant de l’importance de ses arguments, essayera d’élaborer une proposition philosophique qui permette à la raison sortir de la voracité de la doute sceptique et de tenter de chercher la vérité. À approcher cette question, on va dédier le corps de ce travail.

a.       Le scepticisme et incrédulité chez Diderot

C’est notamment dans la traduction en 1745 d’un essai de Shaftesbury, intitulé Characteristics of men, manners, opinions, times (1737), dans l’ouvres de jeunesse Pensées Philosophiques (1746) mais surtout La Promenade du sceptique (1747), où Diderot aborde, de la façon la plus extensive et directe, le problème du scepticisme. Bien qu’il ait été écrit en 1747, le livre La Promenade du sceptique de Diderot, ne sera pas publié officiellement jusqu’à 1830, à cause de son contenu critique de la religion révélée. Il circulerait quand même de manière clandestine par la cosmopolite République des Lettres. Comme souligne Esteban Ponce dans l’article Escepticismo, materialismo y clandestinidad (2014), les premiers ouvrages de Diderot on permettent d’accéder, d’une manière efficace, à l’état de la discussion philosophique autour du scepticisme qui s’est déroulé dans la première moitié de XVIIIème.
Avant de nous introduire aux textes de Diderot, c’est important d’éclaircir d’abord que le concept de « scepticisme » acquerra plusieurs significations pendant le XVIIIème siècle, lesquelles seront bien appréciables chez les ouvres de Diderot. Marie Souviron et John Spink, par exemple, affirment qu’à cette époque-là, être accusé de « sceptique » était être accusé de douter de l’existence de Dieu, d’être athée et matérialiste (« spinoziste »), c’est-à-dire, de ne pas seulement douter de l’existence de Dieu mais aussi de nier l’existence d’une autre substance (comme celle de l’esprit) au-delà de la matière (de Lima, 2008, 80). Les termes « scepticisme », « matérialisme » et « athéisme » étaient alors presque synonymes et constituaient une dénomination courante que l’Ancien Régime utilisé pour identifier, stigmatiser et même criminaliser les philosophes « ennemis de la religion » et du « régime politique » (ibidem).
Chez Diderot on peut voir cette signification multiple de scepticisme comme un euphémisme pour l’incrédulité. Jacques Chouillet (1969) remarque que cela est évident déjà dans la traduction libre que Diderot a faite du texte Characteristics of men, manners, opinions, times (1737) de Shaftesbury (Bourdin 1999, 88). En effet le philosophe traduira la phrase suivante de Shaftesbury : « Excellent presumption, for those who naturally incline to the disbelief of revelation or through vanity affect a freedom of this kind ! par « certes ce serait donner beau jeu à ceux qui, soit par scepticisme, soit par vanité, ne sont déjà que trop enclins à rejeter tout révélation. » (Diderot cité chez Ponce 2014, 45). De cette manière, c’est clair que, selon Diderot, le scepticisme consiste à ce qui Shaftesbury considère comme « une inclination naturelle à l’incrédulité ».
Cependant il faut remarquer, au même temps, que le philosophe ne confond pas incrédulité, athéisme et scepticisme complètement. Il est en fait bien conscient de leurs différences. Dans ses Pensées Philosophiques, concrètement au paragraphe XXII, le philosophe tracera une distinction entre trois types d’athées qui bien montre qu’il connait bien la différence entre les concepts: les véritables athées, les athées fanfarons et les athées sceptiques. Les véritables athées seraient ceux qui nient l’existence de Dieu tout court, alors que les athées fanfarons seraient ceux qui étaient athées toute sa vie mais qu’a moment de la mort hésitent et affirment son existence. Finalement, les athées sceptiques seraient ceux qui, au contraire, des athées sceptiques qui doutent aussi bien sur l’existence de Dieu que sur non-existence, ils font alors un « épochè », en ressoudant la question avec « pile ou face ». Mais ce qui est important à souligner pour l’instance c’est que, et comme il sera plus évident dans ses ouvres postérieures, Diderot verra la forme de scepticisme comprise comme « incrédulité » avec des bons yeux. En tant que posture critique des croyances et des « vérités » reçues par les dogmes et la tradition, le scepticisme compris comme incrédulité c’est une nécessité irremplaçable de la philosophie. Jusqu’à tel point En effet, Diderot croit à l’importance du scepticisme que dans les Pensées Philosophiques l’auteur le définira, comme « le primer pas vers la vérité ». On va revenir sur ce point.

b.      L’ennemi à combattre : le scepticisme solipsiste ou le « pyhorrisme »

Cependant, dans la même traduction de Shaftesbury, se révèle une autre notion de scepticisme, de laquelle Diderot cherchera à s’écarter, comme le montre Estéban Ponce (2014, 46). Quand Shaftesbury commence à parler sur les limitations du scepticisme, le philosophe français introduira un commentaire, où il argument que le « scepticisme illimité », qui nous fait hésiter même de notre propre existence, conduit, à la fin, à l’irrationalité et l’absurdité. Ici, le concept de scepticisme que Diderot présent se rapproche plutôt à celui de « solipsisme », qui, comme il est connu, affirme que la seule chose dont on peut être sûr c’est notre propre existence : le monde extérieur ne peut pas être prouvé. Dans son livre Berkeley au siècle des Lumières (2003) Sébastien Charles a bien montré qu’en France l’idéalisme du philosophe irlandais a été interprété comme une forme extrême de solipsisme, en tant que la position fortement immatérialiste de Berkeley se montrait incapable de sortir de la circularité des idées et des sensations subjectives (Charles, 2003). Comme Berkeley ne peut pas affirmer l’existence du monde extérieur, comme il admet seulement « l’être pensant », qui est paradoxalement lui-même, la proposition de Berkeley était envisagée comme un genre particulier, sinon dangereux, de scepticisme, un scepticisme qui est, à la fois, idéaliste et solipsiste.
Diderot se réfère explicitement à la philosophie de Berkeley dans La Promenade d’un Sceptique en 1746, à travers le personnage de Alciphron, et après dans Lettres sur les Aveugles (1749), où il, en fait, définira l’idéalisme comme une doctrine dont partisans « « n’ayant conscience que de leur existence et de ses sensations qui se succèdent au-dedans d’eux-mêmes, n’admettent pas autre chose » et dont Berkeley a exposé avec « franchise et clarté » les principes. » (Diderot cité chez Charles, 2003, 137).
Contrairement à ce qui pensent Jacques Chouillet et Jean Deprun, selon Sébastien Charles, Diderot serait arrivée à Berkeley avant d’avoir lu Condillac et son fameux Essai sur l’origine des connaissances humaines (1746). Selon l’hypothèse de Charles, Diderot aurait pris contact avec le travail de Condillac grâce à Berkeley et pas à l’inverse (Charles, 2003, 137-138). Dans ce cadre, c’est hautement probable que Diderot pense au idéalisme-solipsiste de Berkeley lorsqu’il parle du « scepticisme illimité » dans la traduction de l’essaie de Shaftesbury. Diderot récusera systématiquement au long de son ouvre cette forme de scepticisme, car il trouve qu’elle est à la fin incongrue. En effet, même le plus sceptique, dira l’encyclopédiste, en appelant à un argument proto-vitaliste, doit forcément abandonner ses doutes et se laisser gouverner par le sens commun s’il veut pouvoir vivre quotidiennement (Ponce 2014, 45). Malgré cet argument, Diderot reconnaitra à la fin que, au niveau théorique, ce scepticisme solipsiste est irréfutable : comment est-ce qu’on pourrait démontrer définitivement l’existence objective de choses en dehors nous si on ne peut pas aller au-delà de notre subjectivité? Ainsi le philosophe français écrira dans Les Lettres sur les Aveugles que le scepticisme extrême, « à la honte de l’esprit humain et de la philosophie, est le plus difficile à combattre. » (Diderot cité chez Charles, 2003, 138). Sous l’influence de Bayle et l’article « pyrrhonisme » de son Dictionnaire Historique et Critique (1697), Diderot appellera ce scepticisme solipsiste « pyrrhonisme », comme est appréciable dans la traduction de l’essai de Shaftesbury (Chouillet 1969, 195-211).
Toutefois déjà aux paragraphes XXX et XXXI de Pensées philosophiques (1746), Diderot montrera qu’il reconnait la différence conceptuel entre le « pyrrhonisme » et le « scepticisme », une formule qu’il répétera dans l’article Pyrrhonienne ou Sceptique de l’Encyclopédie. D’un côté, il définira là le scepticisme comme une « méthode de recherche », comme une sorte de saine attitude que le philosophe utilise pour chercher la vérité, comme on avait déjà remarqué. De l’autre côté, le « pyrrhonisme » ou aussi le « scepticisme systématique » se révèle plutôt comme une posture insensée, qui, en ultime instance, amène à la destruction de toute tentative de connaitre le monde. Au contraire du « pyrrhonien sincère », le sceptique extrême, affirme Diderot, fait du doute une fin à soi-même, ce qui entraine une indécision infinie, hostile à la justification de la connaissance. Sous cette lumière, le pyrrhonisme ne serait qu’un scepticisme de « mauvaise foi ».
Si le scepticisme méthodologique est une véritable arme pour défendre la libre pensée contre le dogmatisme, soit scolastique, théologique ou cartésien, le pyrrhonisme contrairement, avec son suspension de la croyance au monde extérieur, conduit à divers formes d’idéalisme, de fermeture solipsiste. Pire encore, en essayent de démontrer les limites insurmontables de la raison, le pyrrhonisme à la fin devient précisément un ami de la foi, de la théologie et du dogmatisme. Le cas de l’idéalisme de Berkeley ne pourrait être plus paradigmatique en ce sens. Ainsi compris, le pyrrhonisme ne peut pas être conçu comme un allié de la raison dans le chemin de la compréhension du monde. Tout au contraire, et dans la mesure où il vise à démontrer l’impossibilité d’aller au-delà de soi-même, et de connaitre la réalité, le pyrrhonisme sapera les prétentions cognitives de la raison et ainsi son auto-confiance (Bourdin 1999, 87). Alors que le scepticisme aide à la raison à maintenir l‘humilité dans sa recherche, le pyrrhonisme cherche à l’humilier, détruit la possibilité de l’objectivité et se présent comme un obstacle au progrès de la connaissance, qui était le but centrale de l’Encyclopédie. Le projet de l’Encyclopédie, en effet, enracine dans la croyance de Diderot dans la nécessité de diffuser les « lumières » de la raison, une tentative qui impliquait, d’un côté, la diffusion d’un sain scepticisme par rapport à la religion et à la politique, qui étaient indissociables à son temps, et, de l’autre, une fonction pédagogique de rapprocher la connaissance à tous, une philosophie qui est clairement incompatible avec celle d’un scepticisme extrême. L’esprit encyclopédiste, conséquence naturelle de la philosophie rationaliste de Diderot, aussi bien que sa reconnaissance, peut-être la plus explicite et profonde, de l’utilité du scepticisme est patente dans le texte La Promenade du Sceptique

3.       La Promenade du Sceptique : entre le scepticisme et rationalité

a.       Les « allées » et leur signification

Ce texte de Diderot est structuré en deux parties, Le Discours Préliminaire, écrit par Aristo, et Les Trois Allées, avec deux personnages principaux. Le premier est Cléobule, un philosophe misanthrope et soldat retiré, qui vise, comme il dit, à « éclairer, de perfectionner la raison humaine à travers le simple récit d’une promenade. » (Diderot ; Tourneux 1875, 190). Le récit duquel il parle sera raconté par le deuxième personnage, Aristo, ami de Cléobule. Ce dernier est un jeune homme, aussi soldat, qui avait survécu des féroces batailles et qu’à cause de ça voulait revoir et revivre la sagesse de son ancien ami. Après le Discours Préliminaire, ou Aristo présent à son ami Cléobule et le décrit comme une personne tolérante, sage, déiste, critique, etc., ce qui est, en réalité, une métaphore de la philosophie des lumières, les deux personnages feront une « promenade » par « trois allées » qui Cléobule avaient dans son parterre, et qui est parcouru par des groupes de personnes différents. Cléobule parlera plusieurs fois des « extravagances des religions, des incertitudes des systèmes philosophiques et de la vanité des plaisirs du monde » (Diderot ; Tourneux 1875, 185). Avec la mise en scène des trois allés, qui représente respectivement la religion, la philosophie et le monde quotidien, Diderot cherche à montrer les avantages et désavantages, les limites et les dangers de chaque allé et à faire réfléchir le lecteur, de manière de lui convaincre à adopter la position que, à cette époque-là, Diderot trouvait était la plus « raisonnable » : celle du déisme.
Le récit c’est particulièrement intéressant du point de vue du scepticisme car Diderot soulignera l’importance d’une telle posture dans son image de philosophe idéal, qui, en plus, a été souvent interprété comme un symbole général de la conception du « philosophe » pendant le Siècle des Lumières. Si bien qu’il y ait trois allées, l’allé des épines et celui de marronniers sont sans doute les plus importants, étant donné qu’ils représentent le contraste entre religion et philosophie.
Les personnages commenceront à se promener pour l’allé des épines, qui correspond, en fait, à la religion révélée, en particulier, au christianisme catholique. En le décrivant, Diderot continuera avec la ligne anticléricale d’attaque à l’intolérance de l’Eglise, déjà évidente dans Pensées Philosophiques, qui, comme on sait, constituera un lieu commun pendant le Siècle de Lumières. En effet Diderot utilise le symbole des « épines » pour lui représenter parce qu’il lui lie avec l’intolérance, l’obscurantisme et l’ascétisme. Cléobule décrit l’allée des épines comme le plus étroit, long, droit et sur des trois, remplis de difficultés et les personnes qui le parcourent comme « la race la plus méchant que je connais », comme « orgueilleux avares, hypocrites, fourbes, vindicatifs mais surtout querelleuses […] » (Diderot ; Tourneux 1875, 195). L’structure qui soutient le fonctionnement de la région, est une structure rigide et hiérarchique, avec le principe (Dieu ou Jésus-Christ) à la tête, le virois (le pape) et une armé « infini » de guides et officiels, dont travail est de faire esclaves du virois aux idiots de la région, qui parcourent l’allé des épines avec une « bande » (qui représente l’ignorance) aux yeux. Clairement il s’agît ici d’une critique pointue du catholicisme et sa structure politique autoritaire mais aussi de la chrétienté tout court.[7]
La seconde allée est celui des « marronniers » mais on le verra de manière plus profonde dans la prochaine section. Alors reste le dernier allé, qui est celui des « fleurs », lequel Diderot utilise, en fait, comme une métaphore de la vie « irréflexive », du monde quotidien, c’est-à-dire, du « sens commun » (Ponce 2014, 85). L’allé des fleurs (ou de la vie mondaine) est spacieux, agréable et doux mais si l’on regarde de plus proche, dira Diderot à travers Cléobule, on s’apercevra qu’il est, en réalité, les plus inégalitaire, tortueux et peu sûr de tous.

b.      L’allée de « marronniers » : philosophie et scepticisme

Comme on avait déjà dit, le second allée est celui des « marronniers ». Il représente la vie philosophique (ou des « libertains ») et il est le plus important du point de vue du scepticisme. Selon Cléobule, il est plus confortable que celui des épines, moins agréable que celui des fleurs, plus sûr que les deux, mais qui, au même temps, est le plus difficile à poursuivre jusqu’à la ligne d’arrivée, en tenant compte qu’il est composé par un sort de sable, qui devient mouvant à la fin du chemin. A propos il écrira :


L’allée des marronniers forme un séjour tranquille, et ressemble assez à l’ancienne Académie. J’ai dit qu’elle était parsemée de bosquets touffus et de retraites sombres ou règnent le silence et la paix. Le peuple qui l’habite est naturellement grave et sérieux, sans être taciturne et sévère. Raisonneur de profession, il aime à converser et même à disputer, mais sans cette aigreur et cette opiniâtreté avec laquelle on glapit des rêveries dans leur voisinage. La diversité des opinions n’altère point ici le commerce de l’amitié, et ne ralentit point l’exercice des vertus. On attaque ses adversaires sans haine, et quoiqu’on les pousse sans ménagement, on en triomphe sans vanité. On y voit traves sur les sables des cercles, des triangles et d’autres figures de mathématiques. (Diderot ; Tourneux 1875, 215)

Souvent interprétée comme une allégorie de la fameuse République de Lettres, dont origines peuvent se retracer jusqu’à le XVIème siècle, c’est clair que ce passage-là fait référence à l’idée de tolérance, qui contraste avec le dogmatisme intolérant des ceux qui appartient à l’allé des épines. L’une de raisons pour lesquelles la tolérance a la primauté dans ce royaume, c’est à cause de l’esprit critique que tous ses membres cultivent. Et, à son tour, ce spirit critique a son origine dans la posture sceptique que les citoyens de cette région partagent. Comme en Pensées Philosophiques, on distinguait entre « sceptiques sensés » et « vrais sceptiques », dans Promenade Diderot répètera de nouveau l’ambigüité de son rapport avec le scepticisme : amitié avec le scepticisme sensé et récusation du scepticisme extrême.
Cléobule dira à propos que la « secte de pyrrhoniens » « est composée des gens qui vous disent nettement, qu’il n’y a ni allée, ni arbres, ni voyageurs ; que tout ce qu’on voit pourrait bien être quelque chose, et pourrait bien aussi n’être rien » (Diderot ; Tourneux 1875, 216). Il est évident que le sceptique que Cléobule décrit est similaire à celui que Diderot avait montré dans la traduction de l’essai de Shaftesbury, où, comme on a déjà vu, le concept de scepticisme est assimilé à l’idéalisme solipsiste de Berkeley. En plus, le ton ironiquement avec lequel Diderot s’exprime sur ce type de sceptiques montre qu’il continue à lui regarder comme une véritable absurdité.
Plus en bas, Cléobule soulignera un avantage essentiel des sceptiques sur les autres « sectes » des philosophes: « s’étant débarrassés du soin de se couvrir, ils ne sont occupés que de celui de frapper. Ils n’ont ni casque, ni bouclier, ni cuirasse, mais seulement une épée courte, a deux tranchants, qu’ils manient avec une extrême dextérité. » (Diderot ; Tourneux 1875, 216). Avec cette description, ce qui Diderot veut faire c’est de réitérer, l’idée que le scepticisme idéaliste est, en fait, irréfutable. Ils parviennent à se tenir debout malgré toutes les attaques qu’ils reçoivent et c’est pour ça, en fait, qu’il n’est pas nécessaire de se préoccuper. En réalité, leur défense c’est leur attaque, un terrain où Diderot leur reconnait, encore une fois, la supériorité, à cause de sa grande « dextérité ». Cléobule montre ça bien clairement: « Ils attaquent tout le monde, même leurs propres camarades ; et quand ils vous ont fait de larges et profondes blessures, ou qu’eux même en sont couverts, ils soutiennent avec un sang-froid prodigieux que tout n’était qu’un jeu […] » (Ibidem). La manière comme Diderot leur décrire rappelle son antérieure définition du pyrrhonien comme un « sceptique de mauvaise foi ». En effet, pour lui, les pyrrhoniens semblent attaquer sans raisons, sans aucun autre but que celui même d’attaquer : pour eux, il s’agit simplement d’un jeu. Philosophiquement parlant, les sceptiques ne peuvent point construire, car ils sont les rois de la destruction. Clairement Diderot voit dans ce « jeu », une opération qui est porteuse d’une certaine malice.
Toutefois à la fin du paragraphe il donnera un tournant positif à son évaluation de l’action des sceptiques et de leur utilité face au travail de la philosophie. Après d’avoir attaqué et fait des blessures profondes, dit Cléobule, les sceptiques aveuglent, « qu’ils n’ont eu garde de vous porter des coups, puisqu’ils n’ont point d’épée, et que vous-même n’avez point de corps ; qu’après tout ils pourraient bien se tromper ; mais que le plus sûr pour eux et pour vous, c’est d’examiner si réellement ils sont armes, et si cette querelle, dont vous vous plaigne, n’est point une marque de leur amitié. » (Ibidem). C’est à dire, même si les attaques des sceptiques n’étaient qu’une illusion, cette illusion a sert à montrer les insuffisances, des faiblesses, des inconsistances d’un système philosophique ou d’une croyance religieuse et des fermetures insoutenables et à dissiper les nouages conceptuels, soit de la métaphysique, de la théologie ou des abstractions rationalistes. C’est pour ça que les blessures infligés par les sceptiques peuvent être prises comme un signal de leur amitié : les attaques peuvent aider au philosophe qui cherche la vérité à ne pas tomber dans le dogmatisme.
Cet objection sceptique aux systèmes philosophiques, religieux, etc. sera lancé par Diderot aussi contre le matérialisme, qui lui-même embrassera pendant sa vie. La combinaison du matérialisme et du scepticisme feront de la proposition philosophique de Diderot une perspective particulière, par rapport à celles qu’on trouve dans son temps, comme on verra à la suite.

4.       L’aspiration à la vérité : le matérialisme dans la Diderot

a.       La particularité d’un matérialisme

Si la Promenade d’un Sceptique est un texte plutôt d’exploration sceptique d’un jeune Diderot déiste, troublait par les questions religieuses, Lettre sur les aveugles (1749), où il exposera les idées de génération spontanée et de transformation constante de l’univers (contre l’idée d’un « ordre » et « design intelligent »), marque la transition d’un Diderot plus mature dans ses réflexions vers le matérialisme et l’athéisme, lesquels il défendra dans plusieurs textes – notamment sur Le Rêve de d’Alembert (1769) - jusqu’à sa mort en 1784. Cependant et comme on a déjà remarqué, le matérialisme de Diderot sera un matérialisme assez différent de celui qui était développé par des philosophes contemporains, comme d’Holbach, Helvétius ou La Mettrie. Des récents travaux ont soulignaient cet aspect « particulier » du matérialisme diderotien. Par exemple le texte Le un matérialisme éclectique (2010) de Annie Ibrahim, où l’auteur montrer l’articulation chez la philosophie de Diderot des divers disciplines (la physique, les sciences du vivant, l’anthropologie, l’esthétique, l’éthique, la politique, etc.) pour repenser un type de matérialisme libéré de la rigidité des systèmes et des concepts rationaliste et qui incorpore, au côté de la science, de la nécessité et de la rationalité, le « schème aléatoire », le rôle de la contingence, la métaphore, la vitalité, la vision d’un monde en incessant devenir, etc.
Le même spirit de remarquer le caractère sui generis du matérialisme de Diderot peut-on trouver aussi dans l’article Le Rêve matérialiste (2007) Charles T. Wolfe, où, à partir de l’analyse du texte Le Rêve de D’Alembert, l’auteur montrera que Diderot voit dans le concept de « rêve » la possibilité d’affirmer l’unité du monde matériel sans perdre la vision interne du sujet, ses états mentaux, etc. De même, Elisabeth de Fontenay dans Diderot ou le matérialisme enchanté (1981), un livre qui réunit 30 essais, l’écrivaine cherche à capturer l’ouvrage de Diderot dans son ensemble, dans leurs multiplicités et voire contradictions, sans tenter de la réduire à une unité forcée car le caractère asystématique, issu de la vision d’un sujet qui se trouve « dispersé », est l’un de leurs principales caractéristiques du philosophe français. Comme le titre même du livre l’indique, Fontenay rachat la dimension onirique et musicale des textes diderotiens, qui contrastent avec d’autres matérialistes, aussi bien que son éclecticisme thématique. 
De manière générale, on pourrait dire que ce qui caractérise le matérialisme de Diderot c’est justement de ne pas parvenir à acquérir une forme « systématique » et, par conséquence, de laisser la porte ouverte, si bien qu’il ne sortira jamais de la vision rationaliste-matérialiste, aux formes d’interpréter ou « connaitre » le monde et aussi l’homme, qui échappent à une raison étroite, expérimentale, déterministe, extériorisante, mathématisante, etc. Bien peut s’argumenter que l’une des raisons, et peut-être la plus importante, pour laquelle Diderot se résistera à compléter un « système philosophique » c’est précisément la conséquence d’avoir conservé la posture sceptique pendant toute sa vie, ce qui lui amènera à être soigneux  dans l’utilisation de la raison. Telle est, en effet, et comme on verra, la thèse de Jean-Claude Bourdin dans Matérialisme et Scepticisme chez Diderot (2012). 
b.      Diderot et la critique au « matérialisme dogmatique »

Si l’on comprend le matérialisme comme une philosophie qui conçoit la possibilité de expliquer aussi bien les phénomènes de la nature que ceux des actions, des sentiments et des productions humaines à partir de la matière, alors Diderot est évidemment un philosophe matérialiste. Comme ses amis personnels et intellectuels, le baron d’Holbach et Helvétius, Diderot a renoncé à accepter l’idée de l’existence des forces extérieures immatérielles, comme, par exemple, des principes spirituels, à la matière pour comprendre le fonctionnement du monde. Aux antipodes du monisme spiritualiste de Berkeley, Diderot défend un monisme matérialiste: il n’y a qu’une seule substance, et c’est substance c’est la matière. C’est pour ça, en fait, qu’il a été considéré dans son propre époque comme un « spinosiste », également que Holbach et Helvétius, auxquels Diderot lui-même appelé « les nouveaux spinosistes ». Néanmoins, Diderot récusera aussi bien l’entreprise holbachienne d’un système matérialiste, cristallisé dans son polémique Système de la Nature (1770), que la proposition d’Helvétius dans De l’esprit (1759) et notamment dans De l’homme (1773), lesquels Diderot attaquera explicitement dans Réfutation d’Helvétius (1774).
Comme d’autres lumières de l’époque, Diderot montre un certain dédain par rapport aux questions « métaphysiques ». Il croit que la philosophie n’a pas parvenu à dégager des problèmes fondamentaux : les discussions sont toujours les mêmes et les questions les plus importantes n’ont pas étés répondus. Diderot pense alors qu’il est nécessaire d’essayer d’achever un progrès similaire dans le domaine de la philosophie à celui qui récoltait la science de son temps, surtout à la lumière que beaucoup de questions philosophiques étaient au cœur des disputes de la vie sociale, politique et morale de l’époque. C’est pour ça que Diderot, dans une phase presque « proto-positiviste » de sa pensée, sera tenté d’appeler à l’expérience et à la méthodologie de la science comme juge pour décider entre l’énorme concurrence entre systèmes métaphysiques. Conjointement avec le propre Diderot, Helvétius et d’Holbach sont deux des penseurs les plus représentatives de cette tendance de explorer la ligne d’une, et en nous excusant l’oxymoron, sorte de « métaphysique matérialiste ».
En effet, le baron d’Holbach propose une théorie selon laquelle la pensée ne serait plus qu’une espèce de « matériel affecté », mise en mouvement par des cops extérieurs, qui seraient doués de mouvement (Bourdin 1999, 87). Avec cette conception moniste, il essaiera de démonter la vieille thèse dualiste, l’âme et le corps, dont articulation, étant donné qu’elles sont deux substances de nature différente, était toujours problématique. Au lieu de commencer par les idées, comme font Descartes et Berkeley, et déduire le monde à partir d’elles, on doit partir du monde pour arriver à l’origine des idées, lesquelles ne seraient que l’expérience sentie du mouvement de la matière : autrement dit, la cosmologie doit précéder à la psychologie, et pas à l’inverse. Ce qui d’Holbach fera c’est alors d’introduire un cogito complètement matérialiste, dont essence est déterminée par les mouvements des objets extérieures.
Nonobstant, le système de d’Holbach doit faire face à un problème : comme bien remarque Bourdin, « il ne serait pas difficile à un « idéaliste » sceptique de soutenir que l’existence de ces mouvements est inséparable d’une expérience sentie et solidaire des sensations, elles-mêmes mues et mouvantes, du sujet pensant. » (ibidem). Ainsi vu, et incapable de se protéger contre cette objection, le matérialisme de d’Holbach peut être à la fin renversé dans un idéalisme solipsiste, comme celui de Berkeley, lequel précisément d’Holbach cherchait à réfuter. Si Diderot avait dénonçait la vision de Berkeley pour précisément tomber dans le solipsisme, l’auteur ne pourra que diriger la même critique contre la construction proto-solipsiste de d’Holbach (ibidem). 
De l’autre côté, et comme bien expose M. Jean Rostand dans La conception de l'homme selon Helvétius et selon Diderot (1951), Diderot ne partage pas la manière avec laquelle son autre ami, Helvétius, s’approche et conceptualise le problème de l’homme. Helvétius défend que le comportement de l’homme n’est pas indiscernable de celui des animaux, étant donné que les deux sont déterminés par les conditions de l’environnement et acquièrent leurs connaissances a traves leurs sens. Si bien que Diderot appui l’idée que l’homme est une espèce d’animale,- en effet la contribution du philosophe français à la théorie de l’évolution est très importante[8]-, il n’est pas cependant d’accord qu’il soit seulement un animale, à savoir, qu’il puisse être complétement compris à partir de l’étude des autres animaux, comme Helvétius envisageait. Bien avant de la découverte de la génétique, Diderot soutien déjà qu’il y a une organisation différente de la matière, dont paternité est la nature même, qui est, en fait, la responsable  différences entre un chien et  En plus, et même si Diderot reconnait la importance vital de l’éducation dans l’explication de la diversité aussi bien des peuples que des individus, il ne croit pas dans son omnipotence, comme Helvétius. Il y a, selon Diderot, aussi des grandes différences héréditaires au niveau des hommes qui sont derrière la diversité qu’on trouve au monde.

c.       Un matérialisme fragile ou sceptique

En consonance avec Helvétius, contrairement à d’Holbach, qui souligne le mouvement de la matière comme l’origine de la sensation et des idées, Diderot croit que, de quelque façon, la sensibilité est inhérente à la matière. C’est précisément cette idée ce qu’il veut transmettre avec son texte Le Rêve de D’Alembert, où il présent l’image, qui vise à expliquer son matérialisme, de l’homme comme un « clavecin sensible ». Avec cette analogie, ce que Diderot, comme d’Holbach et Helvétius, veut faire c’est d’éliminer le dualisme substantialiste entre l’âme et le corps en faveur d’une vision mécaniste-matérialiste de la nature. Sophie Audidière résume bien le fonctionnement de l’image et son signification: « L’instrument à cordes pincées offre une image de la façon dont les objets extérieurs pressent sur les organes de nos sens et propagent cette impression grâce à des fils – nos nerfs – qui conduisent les sensations vers le cerveau comme les cordes musicales font résonner le son au cœur du clavecin » (2007).
Cependant, il faut souligner qu’à différence de ce qui font d’Holbach et Helvétius, qui donnent un rôle déterminant aux facteurs externes dans la configuration de la pensée, Diderot éviter ce type de solipsisme matérialiste, qui affirme le monde comme s’imposant indéfectiblement a la conscience, et montrer que l’homme n’est pas pure réceptivité. En effet, le clavecin sensible est précisément un instrument doué de sensibilité mais aussi de mémoire, une idée qui ouvre la porte à une conception « organique », voire proto-vitaliste selon quelques spécialistes, de l’homme, où des diverses organes, fonctions, des forces extérieurs, etc. coparticipant dans la production de la pensée et du cette « machine » particulière, qui est l’homme. Jean-Michel Devésa Rene Crevel, ou, L'esprit contre la raison (2000) décrit parfaitement cet aspect : « si l’homme, comme l’imagine Diderot, est un clavecin sensible, il n’est pas fermé sur lui-même, créant par lui-même toute réalité, mais il est un être pensant par le moyen de la matière extérieure a lui : il est pris dans les rapports complexes qui s’exercent entre les choses. L’image du clavecin permet de réfuter, dit Lénine, le sophisme de la philosophie idéaliste » (2000, 54).
Si bien que l’entreprise matérialiste de Diderot semble à tenter homogénéiser les critères épistémologiques entre la philosophie et la science, de manière d’ériger une philosophie meilleure fondée -une « bonne philosophie », selon les propres mots de l’auteur français- il est, à la fois, pleinement conscient de la différence essentielle, qui existe entre elles. La philosophie, pour Diderot, comme bien souligne Bourdin (1999, 87), a sa propre liberté et autonomie, une autonomie que la science, en cherchant une vérité fixée, n’obtiendra jamais. Il y a chez Diderot un appel à la prudence épistémologique, qui est dérivé d’une conscience qui reconnait les difficultés pour ressoudées définitivement les « questions métaphysiques », puisqu’elles ne sont pas ouvertes à la démonstration ou vérification. « C’est pourquoi [explique Bourdin] la philosophie est aussi nécessairement littérature, travail d’écriture, multiplication des voix, des personnages, indifférente aux preuves, éloignée de toute volonté de système. C’est pourquoi aussi Diderot ne s’est jamais résolu à donner à sa pensée la forme d’un système comme l’ont fait ses contemporains et amis Helvétius et d’Holbach. » (1999, 90).
La philosophie de Diderot se débâte alors entre, d’un côté, une rationalité méthodique, manifestée dans la tentative de chercher la vérité par de moyens scientifiques, et, de l’autre, une exploration des ces phénomènes qui ne peuvent pas être épuisables par la rationalité empirique, c’est-à-dire, des phénomènes non-rationnels, qui nonobstant peuvent être éclaircies ou plutôt « racontés » à travers le recours à l’art, l’inspiration, le rêve, l’imagination, l’analogie, la littérature, etc. Encore une fois, Bourdin décrit cette dimension de la philosophie de Diderot de manière très précise : « Autrement dit, Diderot a été conscient de l’incapacité de la raison à résoudre les questions traditionnelles de la métaphysique, mais il a voulu saisir dans ce diagnostic une chance inattendue pour la philosophie : devenir la poésie de la raison. » (1991, 91).[9]
La racine de la particularité du « matérialisme fragile » de Diderot se trouve dans le fait qu’il n’a jamais renoncé au scepticisme, auquel il avait combattu dans ses premiers écrits. Par exemple, dans Réfutation d’Helvétius, Diderot rappellera que « la sensibilité générale des molécules de la matière n’est qu’une supposition qui tire sa force des difficultés dont elle débarrasse, ce qui ne suffit pas en bonne philosophie ». (Diderot cité dans Bourdin, 1999, 89). Comme on a vu, Diderot partage l’idée de la sensibilité de la matière, de façon que cette critique qu’il dirige contre Helvétius peut être interprété, au même temps, et paradoxalement, comme une autocritique. Un autre exemple de la présence du scepticisme chez Diderot, on le trouve dans Lettre sur les Aveugles, où il entreprend un examen critique de la capacité de connaître de l’esprit humain, un exercice de « critique de la raison aveugle », comme dit Gerhardt Stenger. À tel point arrive cette critique que, à la fin, Diderot semble retourner au doute et de n’en pas sortir :

Quand on a mis les connaissances humaines dans la balance de Montaigne, on n’est pas éloigné de prendre sa devise. Car, que savons-nous? Ce qu’est la matière? Nullement ; ce que c’est que l’esprit et la pensée? Encore moins ; ce que c’est que le mouvement, l’espace et la durée? Point du tout ; des vérités géométriques? Interrogez les mathématiciens de bonne foi, et ils vous diront que leurs propositions sont toutes identiques […]. Nous ne savons donc presque rien. (Bourdin 1999, 93)


De cette manière, on pourrait dire, avec Gerhardt Stenger, que le sensualisme de Diderot est, en effet, un sensualisme profondément sceptique (1999, 110). Voilà pourquoi c’est appréciable chez les textes de Diderot toujours une certaine « mélancolie » et « désenchantement », qui s’origine dans la conscience de la limitation de la connaissance humaine. La modalité de philosopher qu’il propose alors ne vise pas à obtenir la certitude définitive : son scepticisme l’a enseigné à pratiquer la humilité et se conformer seulement avec le vraisemblable. « On doit exiger de moi que je cherche la vérité, mais non que je la trouve », disait Diderot. Le chemin vers la vérité, vers les lumières, horizon ultérieurement inaccessible, se fait en se promenant dans le doute.

5.       Considérations finals

Raison, c’est la torture !
Michel Foucault, Dits et écrits (1994)

Comme remarque Giorgio Tonelli, « le Siècle de Lumières était en fait l’Age de la Raison mais l’un des objectives principaux assigné à la raison pendant cette époque-là était d’établir ses propres limites » (Traduction mienne cité en Charles 2013, viii). La pensée des Lumières, c’est une pensée de l’inquiétude comme bien a remarqué Jean Deprun. Cette affirmation décrit parfaitement le cas de Diderot et sa relation ambiguë, d’amitié et inimitié, avec le scepticisme. À la fois qu’il affirme une « théorie matérialiste » de l’univers pour combattre les doctrines religieux, moral et politiques établies de l’Église, il est aussi prudent concernant la construction de systèmes cohérentes et fermes, surtout quand il s’agit d’entrer au terrain spéculatif. Il est conscience que la raison peut aussi se déborder et ainsi devenir elle-même un piège dangereux. De cette manière, Diderot résume bien les oscillations de tout le Siècle. Dans la vision de l’encyclopédiste, le scepticisme doit être utilisé pour combattre la superstition, le dogmatisme, l’ignorance, etc. Avec le terrain libre, la raison doit construire une nouvelle morale et politique mais au même temps elle doit été contrôlé par le doute, un doute qui doit toutefois se maintenir raisonnable. En effet, Diderot cherche à éviter la dérive du doute dans le « pyrrhonisme » et, de cette manière, ouvrir la porte, encore une fois, à l’apparition du fidéisme ou des dogmatismes.
Pour conclure, j’aimerais bien faire, en prenant la perspective de Diderot, quelques réflexions à propos du rapport entre scepticisme, la pensée des Lumières et notre temps. On a vu que dans Promenade d’un Sceptique, Diderot décrivait les « pyrrhoniens » comme des gens adroite qui attaquaient, avec de la malice, tout le monde, tous les systèmes, en détruisant la rationalité. Pendant les dernières décades, on a assisté à l’émergence d’un type de philosophie que, on pourrait argumenter, partage des certains caractéristiques avec le pyrrhonisme. On se réfère ponctuellement à la postmodernité et son pointue attaque à la modernité et au rationalisme. Bien qu’il est impossible d’approfondir dans ce point, il est assez évident que les postmodernes ont favorisé une vision plutôt relativiste de la morale, de la politique et de la culture en général. Lyotard annonce « la fin de grands récits », y compris celui du « progrès » des Lumières et laisse la porte ouverte relativisme, à la suite de Herder, Leo Strauss est devenu l’un de défenseurs les plus importantes du relativisme culturel. Un peu plus tard, Foucault relativise la notion d’une avance accumulative de la science en introduisant le concept d’épistème (pareil au concept de paradigme de Thomas Kuhn) et, au même temps, dénonce la rationalité occidentale, voire celle de Lumières, comme autoritaire, comme, de quelque façon, avaient déjà fait Adorno et Horkheimer, inspirés par Nietzsche. Dans la même ligne, on trouve chez Derrida et son concept de « logocentrisme ». Par sa part, Deleuze conçoit la philosophie comme la simple « création des plans d’immanence », n’ayant pas de vérités objectives, ni progrès, seulement une « pluralité » irrationnel. Alors tous ensembles dénoncent le rationalisme objectiviste, l’idée d’un transcendantal, les tentatives de créer des systèmes, l’universalisme et récusent la notion de la connaissance comme source d’émancipation pour l’homme. Le scepticisme, l’irrationalisme et le relativisme qui s’étaient cultivé dans ces derniers années est bien étudié dans des divers textes comme Face au scepticisme: 1967-1993 (1994) de Olivier Mongin, The Seduction of Unreason. The Intellectual Romance with Fascism (2004) de Richard Wolin, parmi d’autres.
Face à ça, on devrait se poser les questions suivantes: est qu’on doit considérer la postmodernité comme une forme de pyrrhonisme et donc une philosophie anti-lumière, qui a favorisé la réapparition des dogmatismes, des nouveaux nationalismes, des nouveaux fanatismes religieux ? Ou est-ce qu’on doit interpréter leurs attaques à la rationalité plutôt comme un exercice saine ou même comme « une marque de leur amitié », comme Cléobule l’avait dit à Aristo ? En tous cas, il semble que la stratégie diderotienne d’adopter le scepticisme raisonnable et au même temps d’essayer un dépassement du scepticisme illimité à travers la rationalité, d’une rationalité constructive même s’elle échappe de la fermeture systématique, réside la clé pour réhabiliter un de plus en plus nécessaire Siècle des Lumières.



6.       Bibliographie

·         Bourdin, J.-C. (1999). Matérialisme et scepticisme chez Diderot . Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, 85-97.

·         Charles, S., & Smith, P. J. (2013). Scepticism in the Eighteenth Century. London: Springer.

·         Diderot, D. (1875). Œuvres complètes de Diderot. Paris: Garnier.
·         Fontenay, E. d. (1981). Diderot. Le matérialisme enchanté. Paris: Grasset and Fasquelle.
·         Pépin, F. (2011). Annie Ibrahim : Diderot, un materialisme eclectique. Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopedie, 240-244.
·         Piva, P. J. (31(2):, 2008). O Acerto de Contas de Diderot. Trans/Form/Ação, São Paulo, 79-95.
·         Ponce, E. (2015). Escepticismo, materialismo y clandestinidad. Los primeros escritos de Diderot. Tópicos, 42-73.
·         Popkin, R., Olaso, E., & Tonelli, G. (1997). Scepticism in the Enlightenment . Buenos Aires: Springer.
·         Rioux-Beaulne, M. (2011). Didero face à la clandestinité : le cas de la promenade du sceptique. La Lettre Clandestine n°19, 95 - 118.
·         Rostand, M. J. (1951). La conception de l'homme selon Helvétius et selon Diderot. Revue d'histoire des sciences et de leurs applications, 213-222.
·         Stenger, G. (1999). La théorie de la connaissance dans la Lettre sur les aveugles. Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, 99-11.
·         Wolfe, C. T. (2007). « Le rêve matérialiste, ou "Faire par la pensée ce que la matière fait parfois" ». Philosophiques, 317-328.
·         Wolin, R. (2004). The Seduction of Unreason. The Intellectual Romance With Fascism. New York: Routledge.





[1].- Il faut signaler cependant que J. B. Shank a défié la vision courante qui donnait à la philosophie naturelle de Newton un rôle déterminant dans l’origine de la pensée du Siècle de Lumières. Dans son The Newton Wars and the Beginning of the French Enlightenment (2008), il montre bien que les rapports sont, en fait, beaucoup plus compliqués que ce qu’on avait pensé originellement.
[2].- Le texte auquel de Frédéric Brahami on fait référence s’appelle Building Without a Foundation. The Equation of Enlightenment with Skepticism in Post-Revolutionary French Thought, qui se trouve dans le livre Skepticism in the Eighteenth Century (2013), duquel Sébastien Charles et Plínio J. Smith sont éditeurs.
[3].- Cette diagnostique sera le patrimoine discursif aussi bien des écrivains réactionnaires, comme Edmund Burke, Louis de Bonald, Joseph de Maistre, René de Chateaubriand et Félicité de Lamennais, que des philosophes libéraux et progressistes comme étaient Saint-Simon, Comte, Proudhon et Michelet. Les dernières se considéraient à eux-mêmes comme hérités de la philosophie de Voltaire, Diderot et Helvétius. La devise du positivisme « ordre et progrès » résume bien la relation d’ambiguïté, de filiation et distance, que l’une de principales philosophies du dix-neuvième siècle aura avec le siècle de Lumières. En effet, alors que l’invocation du concept « d’ordre » se dirige contre le chaos révolutionnaire engendré par le scepticisme de Lumières, l’idée de « progrès » souligne justement la fidélité au projet originel de Lumières de générer un programme moral, politique et social d’amélioration de la société.  
[4].- Ce dernier mérite une mention spéciale, étant donné l’importance qui aura dans plusieurs écrivains contemporains, surtout dans le monde anglo-saxon (notamment John Gray, William Galston, John Rawls, etc.). Influencé par Burke et Becker, Berlin souligne, au long des divers ses essais, que la philosophie de lumière se caractérise pour une sorte de « hiper-rationalisme », fondé sur une vision optimiste concernant le pouvoir de la raison. En croyant dans l’unicité de la science, les lumières auraient accepté sans se questionner profondément la possibilité d’obtenir une solution rationnelle, et donc définitif, aux conflits humains. Ainsi les philosophes auraient présupposé une conception « moniste » des valeurs, qui finirait dans la création des systèmes politiques autoritaires ou, même, totalitaires (par exemple, le stalinisme) au début du XXème siècle. Encore une fois, le rôle de scepticisme est déplacé par la conception optimiste et dogmatique du Siècle de Lumières, qu’aurait eu une confiance aveugle, c’est-à-dire, peu sceptique, dans la raison. D’après Berlin, il serait la philosophie « contre-lumière » la qu’offrira la voie sceptique et ainsi permettra de ouvrir la porte pour une conception « pluraliste » et « non systématique » de valeurs.  
[5].- ver acá el texto de vanini.
[6].-  ou?
[7].- En effet, Cléobule continuera à décrire l’origine de l’armée qui maintiendra à l’allée des épines et, avec ça, la critique s’étendra à toute la religion révélée. Diderot racontera ainsi de diverses histoires de la bible, en déployant l’arsenal d’arguments développes depuis le XVIIème siècle, contre sa validité comme document historique et scientifique. En utilisant la satire et un ton plutôt acide et ironique, Diderot cherche à introduire du scepticisme par rapport à la croyance chrétienne, de manière à délégitimer l’interprétation littérale des textes sacrés et, notamment, l’idée d’un Dieu coléreux, punisseur et vengeur, la réalité des miracles, des sacrements et des dogmes et aussi les notions finalistes de la nature, qui habilitaient l’intolérance et le fanatisme religieux.  
[8].- Pour approfondir sur ce thème, on recommande Les précurseurs français de Charles Darwin. M Jean Rostand (1960)
[9] .- C’est précisément ce Diderot, qui a enchanté, par exemple, Freud.

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